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Jean-Claude et Yvette Libert à Moly Sabata

par Henri Giriat.

(Extrait de l'article d'Henri Giriat historien et biographe d'Albert Gleizes publié dans les Cahiers de l'Atelier Libert)

 

La première fois que je rendis visite à Jean-Claude Libert, à Moly-Sabata, je le trouvai juché sur un escabeau en train de gratter les plafonds jusqu'à l'armature des canisses, tandis que son épouse Yvette en blouse blanche, ramassait par terre les gravats de plâtre. Il leur fallait rénover l'habitat dont ils venaient de prendre possession. Par hasard un autre visiteur. C'était Henri de Montrond, en duffle-coat clair, jeté sur une ample soutane de jésuite. Ce jour là nous avons dû gêner passablement les Libert dans leur tâche. Ils nous reçurent pourtant de très bonne grâce. Je remportai une écuelle à oreillettes de Jean-Claude et deux carreaux bleus ciselés de lignes légères, signées Yv Li. Ces carreaux nous servent encore quotidiennement comme dessous de plats. Pourquoi tenais-je à connaître les nouveaux potiers qui succédaient à Anne Dangar ? La raison en est simple.

 

J'avais vécu chez Albert Gleizes durant la guerre pour participer à l'expérience des Méjades. Si par la suite j'avais pris distance pour devenir enseignant, c'était néanmoins le projet communautaire de Gleizes qui m'intéressait le plus dans son action. Moly-Sabata me paraissait le terrain favorable grâce à la pratique des arts manuels. Ce que je trouvais bientôt chez J-Cl.Libert, potier : une maîtrise remarquable d'un métier que je savais difficile pour avoir fréquenté Miss Dangar. Ses pots se caractérisaient par une tenue exigeante de la forme et une grande sobriété de l'ornementation. On pourrait croire que la technique de l'alkifou conduit à une expression uniforme du fait de la rusticité du matériau. Il n'en est rien. Ce ne sont pas les sigles MSD et MSL qui distinguent les poteries de Libert de celles de Dangar, mais l'allure de la forme et la facture des décors. L'ordre traditionnel ne peut jamais oblitérer le style personnel. J'en ai souvent parlé avec Libert. On ne confond pas les fresques de Tavant avec celle de Saint-Savin. Le style est un facteur d'incarnation.

Un jour, j'arrive impromptu à Moly-Sabata. On m'annonce que c'est le baptême de Guillaume. Hasard (si hasard il y a) on me demande de porter l'enfant sur les fonds baptismaux pour remplacer le parrain empêché. Je commandai à Libert des écuelles à fond noir que je voulais voir décorées de motifs qui auraient pu être chinois autant que celtiques ou mexicains. A l'humeur du potier. Ces assiettes, je les possède toujours. Elles répondent exactement à ce que je souhaitais. J'en viens à l'engagement de Libert vis à vis des idées d'Albert Gleizes, tel que je crois l'avoir compris. Je résumerai en cette formule lapidaire : OUI MAIS. Oui, Gleizes a retrouvé les principes cosmologiques d'un art de tradition sacrée où se conjuguent espace, temps, éternité sous les symboles plastiques de mesure, cadence et rythme. Oui, Gleizes dans sa rencontre avec la tradition, n'a jamais imité quelque style que ce soit. Son expression picturale est issue de son propre fond, en rapport avec la modernité, avec les trouvailles du cubisme. Oui, Gleizes a reconnu l'invariant qui confère à toutes les traditions une égale légitimité. Mais NON, si les principes découverts par Gleizes se restreignent à un formalisme, risquant de sombrer dans un nouvel académisme. NON, s'ils servent une cause où la tradition se referme dans un traditionalisme, marqué par l'esprit de chapelle. NON, s'ils excluent les recherches et les expressions des autres artistes de notre temps. Il faut déceler sous les divergences ce que celles-si ont virtuellement de commun, dans la diversité des talents.

Au fond J.Cl Libert, à son arrivée à Moly-Sabata, était favorisé par deux traits. Le premier, c'était une expérience plastique préalable, spécialement dans le domaine des arts appliqués, expérience servie par des dons naturels. Le deuxième était une très large culture en toutes sortes de domaines, philosophique, culture secondée par une intense curiosité, un goût de la recherche, un besoin d'interrogation, qui lui interdisaient de considérer la plastique gleizienne comme un point final. Il y voyait une voie, une ouverture où chacun devait s'engager à ses risques et périls. Lorsque je l'ai connu à Moly-Sabata, ces positions étaient déjà bien définies. C'est sans doute cette indépendance d'esprit qui, après quelques années d'expérience à Moly-Sabata, l'a poussé à reprendre sa liberté en regagnant Villeneuve-lès-Avignon.